Transfert d’argent et prise en charge : Comment se défaire de la servitude financière des familles africaines?

Je suis née en Afrique, j’y ai passé 17 ans de ma vie avant d’arriver en France pour mes études en septembre 2002. Mes deux parents travaillaient, je dirais que nous étions de classe moyenne et ce sont mes parents qui ont pris en charge à la fois mon voyage et mes années d’étude en France.

La famille c’est sacré, très sacré

On nous l’apprend très tôt et c’est plutôt pas mal comme valeur. Mais si vous habitez en Europe, vous avez certainement dû faire face au poids que cela représente d’être à l’étranger et de porter cette charge mentale qu’est de prendre soin de la famille et parfois sans aucune limite. J’ai vu récemment un TikTok qui relatait qu’un étudiant s’est donné la mort à cause de la pression qu’il subissait de la part de sa famille lui demandant d’envoyer constamment de l’argent sauf que ce dernier ne travaillait pas et que ses revenus maigres lui servait déjà de payer ses études, son loyer et le reste en tant qu’étudiant puisqu’il avait aucune prise en charge mais comme pour venir en France, la famille a vendu des terres pour financer le projet, le voici qui démarre sa vie ici loin de sa famille avec le nouveau rôle du sauveur, il n’a pas tenu il s’est donné la mort.

L’enfant sauveur qui vit à l’étranger

Il y a aux yeux de tous parents proches ou éloignés un message d’espoir d’un enfant qui voyage comme un sauveur de ceux qui restent. Je me souviens qu’en 2009, 7ans en France mais officiellement toujours étudiante (stratégie oblige), j’avais reçu un appel de quelqu’un de la famille (que je côtoyais peu en étant au pays) et que je n’avais jamais eu au téléphone depuis que j’étais arrivée en France, qui me disait qu’il fallait que j’aide pour les cotisations pour sa fille qu’il voulait déplacer d’un pays africain vers l’Asie pour les études, il fallait que mes cousins qui sont en France et moi même cotisent, j’avais même le rôle du responsable de la collecte. Surprise, car pour ma part il aurait dû en parler avec ses frères et cousins (= les parents de tous les enfants) afin de trouver une solution. Mon père était déconcerté quand je lui ai dis car ils en avaient parlé en réunion de famille et qu’on avait promis qu’une solution allait être trouvé mais il a décidé de faire autrement et ça n’a pas plu aux mères de tous les enfants.

Tu donnes une fois, tu signes pour toujours

J’ai pendant longtemps eu cette charge mentale imposée ou non, parceque je l’avoue j’avais l’âme d’une sauveuse et j’ai du promettre moi aussi d’aider mais dans ces affaires c’est souvent « tu tends la main, on prend le bras, on tire la cuisse et on prend tout ton corps, on suce ton âme» ce proverbe n’existe pas, je l’ai inventé de toute pièce, à l’instant même où je vous écris pour imager l’étendu de cette affaire : plus tu donnes, plus on demande et le pire c’est que c’est souvent sans merci etc… et les demandes sont à la limite comme si c’était une dette … c’est la faute à la culture, c’est la faute à « là tu pars n’oublie pas d’où tu viens ».

Doit – on quelque chose à nos parents?

Mais finalement doit-on quelque chose à nos parents ? Sous couvert qu’ils ont fait des choses pour nous? Du respect, de la bienveillance oui, une prise en charge permanente je ne sais pas, dans certaines familles c’est très toxique, et je comprends pourquoi les blancs disent « je n’ai pas demandé à naître » et c’est vrai on a pas demandé à naître. Des parents qui s’occupent d’un enfant qu’ils ont décidé de mettre au monde, c’est un peu normal. Et j’entends des voix d’ici dire « ah bana y’a poto », ils arrivent en France ils oublient la culture et regardez comment elle parle et ce qu’elle a écrit: ce n’est pas simplement la culture mais plutôt la culture de la servitude, il faut la rompre.

Rompre avec la culture de la servitude

Il est concevable d’aider, si on en ressent le besoin car oui il y’a des réalités financières différentes entre ici et là bas, mais personne ne doit en faire des cauchemars, ne doit vivre dans le stress, ne doit se forcer à chercher des solutions lorsqu’on a déjà dit qu’on ne peut pas car, oui on ne peut toujours pas, tout le temps. On doit pouvoir donner à la hauteur de ses moyens et en ayant aussi solder ses propres charges avant et lorsqu’on entretient des relations saines avec sa famille cela doit être compris.

Beaucoup de gens s’adonnent à des pratiques ou des choses juste pour gérer ces imprévus sous réserve de la culture. Et si déjà on doit rien à ses parents, alors les autres on leur doit Quoi? J’entendais quelqu’un raconter qu’en allant en Afrique elle a offert un foulard à une tante, qui n’a pas caché sa déception : ah juste ça ? Oui juste ca et c’est déjà bien non?! une famille de 8 enfants (sa mère et ses tantes), les cousines les ceci mais qui a de l’argent pour financer tous ces cadeaux et le pire c’est quand on pense que le billet pour aller dans des destinations comme mon pays d’origine c’est le prix d’un bon séjour au soleil et sans bruit … faut pas déconner oui tata c’est le foulard ou rien la prochaine fois.

J’ai dit stop parceque j’étais broyée dans le cycle des demandes

Il y a 6 ans, j’ai dû dire stop car j’ai littéralement étouffée de tous les côtés. J’étais abordé par une vague de cousins / cousines sorties de tous les côtés et nulle part en même temps qui me retrouvaient sur Facebook avec toujours la même stratégie comme s’il y’avait concertation : Jour 1 présentation je suis le fils de … contente de te retrouver. Comment vont les enfants ? Jour 2 : J’ai un problème … droit au but. J’ai du rapidement mettre en place des choses sans scrupule car il est clair que l’intérêt était financier, ils n’avaient rien à foutre de ma tronche, j’étais le plan A ou B je ne sais pas . Surtout que ceux que tu aides déjà faut leur réclamer le merci alors allonger la liste …. J’ai mis en place progressivement :

Règle numéro 1 : J’ai demandé à mes parents de remettre de l’ordre dans chacune de leurs familles respectives. S’il y’a des problèmes, les gens doivent s’adresser directement à eux. Je ne trouve pas ça correct que les gens quelque soit le lien de parenté viennent demander de l’argent ou de l’aide aux enfants des autres sans que ces derniers soient au courant. Et parfois même les parents de ces cousins ne sont même pas d’accord avec cette façon de faire de leurs enfants. Et croyez moi cela a aussi remis de l’ordre en direct car je ne reçois plus de demande de qui que ce soit, à force de dire ok j’ai noté j’en parle à mes parents et je te redis. Et là ah non ne dis pas, pourquoi? Parceque parfois il est impoli il a manqué de respect à l’un de tes parents et vient te demander de l’argent. Voilà ça parle mal des parents des gens mais ça vient demander de l’argent à leurs enfants.

Règle numéro 2: Les cotisations mariage ou décès se font à l’endroit où cela a lieu. Il s’était instauré progressivement des habitudes pas très cool de demander le maximum à ceux qui sont à l’étranger, de « oui vous êtes en France vous ne pouvez pas cotiser pareil » sauf que dans les familles africaines en général le chef de famille instaure des rituels du type décès parents, oncles et tantes 10000 francs CFA par personne, enfants 5000 fcfa et dans cette affaire de vous êtes en Europe vous avez plus de revenus, on se retrouve à cotiser des sommes élevées par rapport à ce qu’on donnerait en Afrique (100/200/300€) pour finalement que les gens ralent ah juste ça ! Alors que cela représente parfois la somme demandée à tous les enfants en franc cfa. Donc fini l’arnaque, maman ou papa tu donnes pour nous sur place on rembourse : pas de contact, nous c’est bon maman a donné.

Règle numéro 3: Les ordonnances de maladie, quand les gens sentent que tu as compris le filon, ils jouent sur la corde sensible : je suis malade je dois acheter des médicaments. J’avais fait un accord avec une de mes amies au Canada qui avait une pharmacie au pays, je demandais de scanner l’ordonnance, je transférais sur whattapps, elle vérifiait bien que les médicaments étaient compatibles avec la pathologie annoncée, elle validait à distance et la personne allait chercher à la pharmacie : mon argument en ce moment je n’ai rien, comme c’est mon amie elle peut donner gratuitement je paierais après et puis c’est vrai je n’avais pas d’urgence de paiement avec ce système. Ça n’a pas duré longtemps les faux malades sont vites retournés en classe ah ah ! Croyez moi parfois plus de nouvelles dès que tu demandais l’ordonnance.

Règle numéro 4: Se détacher émotionnellement. Très difficile car bien ancré, la dette morale. On donne quand on veut et on peut donner, si on ne peut pas, pas d’insomnies. Ce n’est pas parceque ta tante t’a hébergé je ne sais où avant que tu viennes en France, que tu vas porter cette dette morale toute ta vie, payer ses dettes, la nourrir… oui c’est sympa mais elle a aussi dit oui parcequ’elle pouvait. On est pas dans les histoires de Gofund me où on promet à ceux qui aident une contrepartie financière. On aide si on veut on peut …certains sont prisonniers de ce qu’on va dire, de ce qu’on va faire car les sorciers and co, ne vont même plus profiter de leur propre salaire sous prétexte qu’on va dire ils n’aident pas alors qu’ils vivent et voyagent. Ainsi va s’installer, ce cercle vicieux: je donne et je ne profite pas moi même. J’ai désormais le blocage facile car même en expliquant, je pense que certains avaient décidé de ne jamais comprendre donc dès que je vois coucou yaya je suis le fils de … je connais la formule je bloque de partout … l’une avait finie par me dire tu ne veux pas répondre, j’ai répondu non .. il n y avait rien derrière j’allais juste me récupérer des doléances! C’était d’ailleurs à la suite d’un décès où comme le principal moteur ne donnait pas de nouvelles je me suis retrouvée à envoyer de l’argent, pour clôturer la veillée mortuaire on a cité mon nom comme la sauveuse, ils se sont refilés mon numéro … la goutte d’eau 💧 : la nièce, la cousine de France. Certains justifiaient même le comportement des autres en disant peut être parce qu’on vous voit sur les réseaux, quoi les gens ne peuvent plus vivre du fruit de leur travail et de l’argent de leur banque parfois?.

Règle numéro 5: Avoir à tout prix un bien au pays n’est pas obligatoire. Oui il ne faut pas oublier d’où on vient, avoir un pied à terre c’était mon délire de base ça mais finalement j’y retourne combien de fois? Suis-je certaine que mes enfants vont en bénéficier de façon automatique? Bref on connaît les lois du pays et on sait déjà que dans certaines familles, les gens bataillent même pour les biens des parents qui ne sont pas les leurs, laissant rien aux enfants. Suis-je certaine que les dépenses que je vais engager vont être fructueux? Quelle est la base des gens qui composent votre famille pour s’engager dans des constructions aux pays : on connaît tous des histoires de ceux qui ont reçu des photos des maisons finies mais le jour J ont découvert que la maison est encore au stade des fondations.

Règle numéro 6: Si vous donnez de peur qu’on vous « mange » la peur du sorcier, on vous mangera quand même parceque même la gentillesse ils n’aiment pas. Vous serez perçu comme celle qui a réussi et qui veut montrer que, ah c’est toujours elle qui aide. Les sorciers s’ils existent en vrai de ce qu’on j’entends n’ont aucune logique ils ne mangent pas les vaux rien ! Donc vivez au moins vous aurez la certitude d’avoir vécu la vie que vous vouliez si un jour …

Règle numéro 7: Transparence familiale, on a créé un groupe enfants, on se partage les demandes et on s’accorde sur le fait d’aider ou pas et à hauteur de combien. Même ceux qui ne travaillent pas font un geste aussi minime qu’il soit en prévision du fait qu’ils auront un problème un jour et auront besoin d’aide mais aussi parceque celui qui ne donnent pas dans la pauvreté ne saura donner quand il sera riche : bien évidemment cela doit rester ponctuel et ne doit pas devenir une habitude. Je donne aussi à la hauteur de ce qui est déductible aux impôts dans le cadre des transferts internationaux, quand ça dépasse ça ne m’intéresse plus trop (faut que j’y trouve mon compte).

Donc donner, aider oui si on le souhaite, si on peut ce n’est pas une dette et les demandes doivent rester ponctuelles. Certains sont adeptes du SOPEKA comme on dit chez nous au Congo Sombela ngai, Pessa ngai, Kebela Ngai : achète moi ceci, donne moi ceci et partage moi ceci. Les gens vivent en Afrique et demandent des iPhones dans des versions que même ici on n’ose pas acheter pour soi même, tu offres un sac on demande si c’est de la marque … tantine tu veux aller où avec ? Au marché de Fond Tié-Tié ou à l’église Saint Jean Bosco ?

Je vous souhaite de sortir de la servitude familiale Prenez soin de vous !

Xoxo 💋


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